Témoignage de Monique et Gysèle : « Pour le coming out, vous voyez, j’en ai encore un à faire… » (lien)

Par Emilie Brouze  – le 02 août 2018

On les prend souvent pour des frères ou des sœurs. Dans le cas de Gysèle et Monique, il arrive qu’on leur propose spontanément deux lits séparés à l’hôtel, les pensant copines ou collègues. Comme s’il n’était pas imaginable qu’on puisse être vieux et gay, âgée et lesbienne, comme si l’homosexualité était le fait de la jeunesse et de ses fougues.

Peut-être vous souvenez-vous du témoignage de Micheline et Jocelyne (Tombées amoureuses à 70 ans : « A 3 heures du matin, je lui ai fait un SMS ») ? Les deux septuagénaires connaissent bien Gysèle (68 ans) et Monique (66 ans), ensemble depuis 35 ans : les quatre femmes font partie du même « groupe de partage » au sein du mouvement gay chrétien David & Jonathan.

Il y a cinq ans, Gysèle, qui travaillait au service informatique du ministère des Finances, et Monique, secrétaire à la retraite, ont quitté la banlieue parisienne pour s’installer dans un petit village de l’Oise, où elles se sont mariées en 2014. Un grand merci à elles de nous avoir reçus et de témoigner dans la série d’articles que Rue89 consacre à nos aînés LGBT.

Au Katmandou, la rencontre

Gysèle : « Après avoir lu l’un de ses livres, « Les Femmes préfèrent les femmes », j’ai essayé de trouver la boîte d’Elula Perrin [romancière, NDLR]. Un samedi soir, pour voir, je me suis donc rendue au « Katmandou », une discothèque rue du Vieux-Colombier, à Paris [haut lieu des nuits lesbiennes jusqu’à sa fermeture à la fin des années 1980, NDLR]. La nuit file, arrive Monique.

Je me suis dit ‘tiens, elle me plaît beaucoup’. Je l’ai invitée à danser mais après, elle m’a dit qu’elle était avec quelqu’un. Chose bizarre, le lendemain, je me rends « Chez Moune », rue Pigalle où il y avait le dimanche un après-midi féminin de 16 heures à 20 heures. Et qui est-ce que je vois arriver ? »

Monique : « Cette fois-ci, j’étais toute seule. »

Gysèle : « On est allées ensuite boire un coup dans un café, avec un petit groupe de six-huit personnes et c’est comme ça que ça a commencé… »

Monique : « On ne s’est plus quittées. »

Gysèle : « C’était le 31 juillet 1983. J’avais 33 ans et toi 31. Il y avait une attirance et on a fini par s’aimer. »

Le coming out de Monique

Monique : « Mon coming out en famille a été difficile. J’avais à l’époque 25 ans. Je m’étais amourachée d’une fille. J’étais célibataire et très seule, je n’avais jamais eu de copains… J’avais bien fait quelques tentatives mais ça n’a pas marché. Cette fille avec qui j’ai eu une relation m’a fait connaître les lieux où je pouvais rencontrer des femmes (dont le Katmandou).

Ma mère s’est rendu compte de quelque chose. Un jour, elle a fait une crise de nerfs à la maison. Il paraît qu’elle a cassé de la vaisselle et a dit à mon frère et mon père ‘Monique sort avec une femme, j’en suis sûre’. Ils ont répondu que non, ‘Monique n’est pas comme ça, tu te trompes’.

Puis maman m’a prise entre quatre yeux et je n’ai fait que confirmer ses doutes. Ça a été très dur. Il ne fallait surtout pas que j’en parle à mes sœurs, plus jeunes : il fallait les épargner. Mon père m’a prise en aparté : il faut que tu repartes voyager, pourquoi pas en Allemagne ? Il faut que tu arrêtes avec ça.

J’ai laissé parler… Le malaise a duré un certain temps. Ça a été très douloureux, je culpabilisais à chaque fois que j’allais voir ma famille.

Le coming out de Gysèle

Gysèle : « Moi, j’ai été mariée avec un homme, mais j’ai toujours aimé les femmes.

Je suis née en Martinique et j’y ai habité jusqu’à l’année de mes 25 ans. J’étais tombée amoureuse d’une fille. En Martinique, à l’époque, c’était extrêmement difficile d’être homosexuel-le. Rien que de prononcer le mot était très mal vu. Je ne le connaissais pas d’ailleurs, c’est en métropole que je l’ai découvert. Aux Antilles, on dit ‘yo ka fè zanmi’ [deux personnes du même sexe ensemble, NDLR].

Cette fille avait des réticences, elle disait que ce qu’on faisait n’était pas bien. Mais j’étais folle amoureuse d’elle, je voulais vivre avec elle… Elle n’a pas voulu. Ça m’a tellement dégoûtée que je suis venue en métropole refaire ma vie et oublier tout ça.

Et en métropole, j’ai retrouvé son frère [rires] – personne, lui compris, n’a été au courant de la relation avec sa sœur. J’étais toujours vierge à 25 ans. On a sympathisé. On est sortis ensemble et on s’est mariés en 1975. Je me suis dit ‘je ne sais pas pourquoi j’aime les femmes, ce n’est peut-être pas normal’. Je me suis dit que peut-être ça me passerait…

Après quatre ans de mariage, ça allait plus ou moins. Ce n’était pas mon truc. J’avais du mal à coucher avec lui. Il a trouvé une maîtresse. Je m’en suis rendu compte, on s’est séparés.

Cette année-là, je partais en vacances en Martinique. Ma mère a senti qu’il y avait quelque chose. Elle m’a demandé ce qui n’allait pas. Je lui dis, ‘écoute…’, et alors là, ça m’a coûté, hein, ‘je préfère les femmes’.

Oh là là mais alors si la terre avait pu s’ouvrir sous mes pieds… Elle m’a sorti : ‘J’aurais encore préféré que tu sois une pute plutôt qu’une lesbienne [Gysèle en parle encore avec émotion, NDLR].’

Je ne sais pas si elle a senti la portée de sa phrase. Je pense qu’elle a dit ça pour le qu’en-dira-t-on. Je ne suis pas restée longtemps en Martinique cette année-là : il y avait des tensions entre ma mère et moi. Et puis on s’est écrit, on a discuté. Elle m’a dit de l’excuser.

Ça s’est arrangé. Et en 1984, j’ai emmené Monique en Martinique… »

Monique : « Disons quand même que ce n’était pas évident les premières fois. Il fallait que je tienne vraiment à elle car tout le monde m’ignorait. Je ne comprenais pas le créole et entre eux ils parlaient le créole. Gysèle y allait tous les ans, moi tous les quatre ans. Au fil du temps, ça s’est amélioré… Maintenant ils m’apprécient.

Il faut dire que je vais difficilement vers les gens – c’est mon naturel. Je ne parle pas beaucoup en grande réunion de famille, alors que toi Gysèle, tu es à l’aise avec le monde… On me prenait pour une bêcheuse. »

Gysèle : « Derrière, il y a aussi un peu les restes de l’esclavage. Si une métropolitaine – une Blanche – ne vous parle pas, ça veut dire qu’elle vous snobe. Ça a mis du temps, mais ça s’est arrangé. Tout le monde a accepté. »

« Les dames »

Monique : « Au travail, je n’ai jamais parlé ouvertement de mon homosexualité, hormis vers la fin, à une collègue secrétaire.

J’aurais dû, avec mes collègues, communiquer, parler de ma vie privée mais j’ai toujours évité ces questions-là. Déjà parce que je n’étais pas toujours très à l’aise avec mon environnement professionnel. Et puis j’avais peur que ça me porte préjudice : tant que je me taisais, je restais tranquille, j’étais tolérée.

Sinon on n’en finit jamais de faire son coming out. Récemment, avec mon poissonnier : un jour, il me voit seule et me dit ‘mais vous avez des nouvelles de Gysèle ?’ Il insiste : ‘Vous habitez le même village ?’ Je lui ai répondu que oui, ‘on est même mariées depuis quelques années [rires]' ».

Gysèle : « Est-ce qu’on est obligé de toujours faire son coming out ? Parce que les hétéros n’arrivent pas pour dire ‘je vais faire mon coming out, je sors avec quelqu’un’. Mes collègues, je ne leur ai jamais dit, ils l’ont deviné. Je suis contre le fait qu’on soit obligé de se justifier : c’est ma sexualité, je ne suis pas obligée de dire que je suis homosexuelle.

Les femmes du cours de gym savent qu’on habite le même village mais je ne sais pas si elles savent pour nous. Je n’ai pas à dire ‘on vit ensemble’. Après si elles me demandent, je répondrai. Je pense que je veux aussi éviter le rejet. Dès l’instant où ça doit créer une cassure, ça me fait mal.

Ici, on ne fait pas de vagues, on ne se met pas en avant. On est appréciées de tout le monde. Quelqu’un nous a rapporté qu’on nous appelait ici ‘les dames’. Je lui ai dit ‘est-ce le jeu de dames, blanc et noir ?’ [Rires] »

Monique : « La dernière fois, je marchais avec des femmes du village. L’une d’elle me dit ‘et ton mari, il ne marche pas ?’ Je l’ai reprise : ‘Je n’ai pas de mari, c’est ma compagne.’ Ça ne lui posait aucun problème. Dernièrement, elle est venue m’apporter un grand sac de pots de confiture vides car j’en avais besoin. »

Gysèle : « Depuis toujours, on ne s’affiche pas. Dans la rue, on ne va pas s’embrasser, on ne va pas se prendre la main. Je crois que c’est dommage… »

Monique : « On a pris l’habitude. Comme dit Nicolas [un ami, NDLR], on a intériorisé l’homophobie et donc on a appris à ne pas s’afficher. Parfois, quand je vois des couples, je me dis ‘tiens, ils ont de la chance’. Oh, ils se prennent par la taille, ils se font un baiser. Eux au moins peuvent avoir un geste affectueux. Bon, ça ne nous manque plus : on a appris à vivre sans. »

« Et votre mari ? »

Monique : « Pour le coming out, vous voyez, j’en ai encore un à faire. Le centre social du village voisin recherchait des bénévoles pour rendre visite à des personnes âgées isolées. Je me suis présentée et cela fait un peu plus d’un an que je vois tous les mercredis après-midi une petite dame de 78 ans. Et alors elle me demande toujours des nouvelles de mon mari…

Je n’ai pas encore eu l’occasion de lui dire. Je n’ai pas encore osé, j’attends le bon moment. »

Gysèle : « Alors elle dit ce que je fais, mais au masculin [rires]. »

Monique : « ‘Qu’est-ce qu’il fait votre mari en ce moment ? – Ah ben, il jardine.’ ‘Il aime aussi le foot, votre mari ? – Ah oui, il adore ça !’ Ça tombe bien : Gysèle adore le sport et le foot. Je lui ai dit il n’y a pas longtemps que tu faisais du théâtre [rires].

Je pensais attendre qu’on se connaisse bien pour lui dire mais là, c’est vrai qu’il faudrait… »

Sexualité

Monique : « C’est vrai qu’on a peut-être encore des barrières. Micheline [qui a témoigné dans un précédent article, NDLR] le disait aussi, qu’elle avait du mal à lâcher, parce qu’il y a tout le poids de la religion et de l’éducation. Maintenant les jeunes sont plus au courant, alors que notre génération n’a pas parlé sexualité en famille. »

Gysèle : « C’était la génération stricte. Moi, quand j’ai dit à ma mère pour mes règles, elle m’a répondu ‘c’est parce que t’es devenue femme’, sans approfondir la chose. Devenir femme, ça veut dire quoi ? De mère en fille, on ne parlait pas de ça. Elle non plus n’avait pas eu beaucoup d’explications.

Ce que je peux dire sur la sexualité, c’est que moi j’adore faire l’amour, c’est un plaisir. Je voudrais le faire le plus souvent, je respecte aussi le désir de mon épouse.

Sinon on fait l’amour le plus simplement possible parce qu’on n’a connu que ça. Si on veut oser autre chose, on se demande si cela ne va pas déplaire à l’autre ? Il y a aussi de la pudeur et de la retenue. »

« Si on avait 30 ans… »

Monique : « On avait parlé de faire un enfant. On connaissait une gynéco qui avait accès à une banque de sperme. J’étais allée la voir mais elle m’avait fait la liste un peu sombre de tout ce par quoi il fallait passer pour y arriver… J’ai laissé tomber. Il faut dire que je n’étais pas trop occupée par le désir d’enfants. Gysèle, toi du temps où tu étais mariée, tu as essayé… »

Gysèle : « … et ça n’a pas marché. Je me suis rabattue depuis sur mes neveux et nièces. »

Monique : « Mais si on se rencontrait maintenant, si on avait 30 ans aujourd’hui, on le ferait. A l’époque, j’aurais eu toute ma famille contre moi, en particulier mon père. Un enfant sans père ! Pour lui, ce n’était pas envisageable.

De notre temps, c’était tabou, on ne savait rien ou pas grand-chose sur la PMA [Procréation médicalement assistée]. C’était les balbutiements. Depuis on en a beaucoup parlé, les informations circulent. Nous, on le conçoit parfaitement. »

Mariées !

Gysèle : « On s’est pacsées en région parisienne, en 1999. On était propriétaires, il fallait se protéger en cas de décès. Pour le mariage, on a milité pour. Quand on a su que la loi allait passer, je suis allée voir le maire et je lui ai dit qu’on voulait se marier.

Il me dit ‘vous savez, moi je suis sur la liste des gens qui sont contre. C’est mon premier adjoint qui va vous marier’. Je lui ai dit que c’était hors de question : j’ai un maire, je tiens à ce que ce soit lui qui me marie !

Il a accepté quand même, il est d’ailleurs venu au vin d’honneur avec la secrétaire qui l’a encouragé à le faire. On s’est mariées le 12 avril 2014 [voir photo ci-contre, NDLR].

On était une quinzaine. C’était le premier mariage gay de notre petit village.

Mon frère est venu spécialement de Martinique pour y assister. Mes neveux nous ont félicitées quand la loi est passée. »

Monique : « Moi, je n’avais pas ma famille ce jour-là. Je ne leur ai pas dit tout de suite, parce qu’on était en pleine crise. On a perdu nos parents et il y a eu des conflits… »

Gysèle : « Quand j’ai commencé à envoyer les invitations, l’une de mes sœurs m’a dit d’arrêter. Elles ne sont pas venues, elles ne l’admettent pas. Je pense que c’est une question de religion.

Je leur en ai voulu. Bon, je ne suis pas fâchée avec, on s’entend toujours bien, mais on a quand même eu une discussion. Ça m’a surtout fait mal. Elles m’ont dit que ce n’était pas contre moi… Je leur ai répondu que c’était notre mariage, que je pensais qu’on était plus proches que cela. La religion qui dit ‘aimez-vous comme je vous ai aimés’ est hypocrite. Elle détruit quand même des liens. »

Vieillir

Gysèle : « A six mois près, on est parties à la retraite ensemble. Le temps de vendre l’appartement, on s’est installées ici un an plus tard. Moi, j’adore la nature, travailler la terre, produire de moi-même. Je ne regrette pas d’être venue ici. »

Monique : « Moi, je ne savais pas trop si j’allais m’adapter, surtout en tant que couple lesbien. On a des possibilités sur Paris qu’on n’a pas à la campagne (il y a par exemple le centre LGBT et le groupe Señoritas). Mais on ne se sent pas isolées.

On est en bonne santé. On va essayer de vivre le plus longtemps possible chez nous. Tu veux parler Gisou ? »

Gysèle : « On n’a pas d’enfants, alors on se pose la question : si l’une de nous deux finit seule, comment ça va se passer ? Est-ce qu’on sera en état de rester dans notre maison ou d’aller dans un centre pour personnes âgées ? »

Monique : « Moi, je ne pense pas spécialement à la maison de retraite. J’aimerais avoir le droit de choisir ma fin de vie – je sais que les lois françaises n’en sont pas encore là.

J’ai souffert de la fin de vie de ma mère, décédée à 87 ans. Les deux dernières années, elle était atteinte d’un cancer généralisé. Je m’en suis occupée mais je culpabilise encore de ne pas en avoir fait plus. J’ai vu qu’on l’a maintenue en vie : c’était devenu, la pauvre, un légume. Il fallait la changer tout le temps, lui donner à manger. Je trouve ça horrible, on ne devrait pas vivre ça.

J’ai dû prendre quelque chose pour l’angoisse, c’était une obsession. Ça va mieux, mais ça m’a traumatisée.

Je redoute avant tout la maladie, la dépendance. Gysèle aura toujours des sœurs ou des neveux autour d’elle, ils sont très famille. Alors que moi, le jour où je me retrouve seule ici, à part deux ou trois copines dans le village, je serai vraiment seule… Je dis toujours que j’aimerais que Gysèle parte après moi. Ce serait l’idéal.

Gysèle : « Moi, j’évite de penser à plus loin : je profite au maximum. »