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Intervention de Nicolas Neiertz Co–président de l’association David & Jonathan

>>Lien – 25 décembre 2015 – 17h23min34s

Antoine Marette : David & Jonathan est une association de chrétien-ne-s homosexuel-le-s, Nicolas Neiertz est le co-président de cette association, et il nous explique qu’il est parfois compliqué d’être catholique et homosexuel-le.

Nicolas Neiertz : Je suis d’une génération qui a été catéchisée dans les années 70, donc après mai 1968, à une période où il régnait une grande liberté de liturgie et d’expression de foi dans l’Eglise catholique. Il y avait une grande recherche dans l’expression de soi-même, l’épanouissement personnel, la recherche liturgique et l’œcuménisme. J’ai vécu assez douloureusement le tournant des années 80 sous le pontificat de Jean-Paul II, où il y a eu une sorte de reprise en main et de mise en avant d’une version assez réactionnaire de la doctrine, pour l’opposer au vécu des personnes.

religionsAu même moment, j’ai découvert qui j’étais, ce que je vivais, et j’ai été pris dans une génération qui était écartelée entre un discours des hiérarchies religieuses qui était stigmatisant et en même temps la terrible épidémie de sida qui a emporté de très nombreux amis, des gens très proches et des compagnons de vie. Pour ma génération, cela a été quelque chose d’extrêmement douloureux. Je comprends donc tout à fait que beaucoup d’hommes et de femmes d’éducation chrétienne, tel que je l’ai été, aient pris des distances par rapport à l’institution chrétienne. Cela n’a pas été mon cas, je suis resté catholique pratiquant, avec parfois beaucoup de mal, et c’est la raison pour laquelle je suis arrivé dans l’association David & Jonathan. C’est parce que vivais difficilement ce hiatus entre le discours que j’entendais à l’église et ce que je vivais. J’ai eu besoin de les réconcilier, et de trouver un lieu où spiritualité et sexualité pouvaient se vivre de manière réconciliée ; je l’ai trouvé à David & Jonathan.

Antoine Marette : Vous dites que parfois vous l’avez vécu avec beaucoup de mal, c’est-à-dire ?

Nicolas Neiertz : Je prends un exemple très proche et très concret qui va parler à beaucoup de chrétiens : lorsque dans des églises des prêtres se sont crus autorisés à appeler à manifester contre le projet de loi sur le mariage pour tous, faisant ainsi dans leurs paroisses un travail de mobilisation politique, alors que c’étaient des manifestations auxquelles participaient des représentants de l’extrême droite, j’ai trouvé cela parfaitement scandaleux. Je fais partie de ces chrétiens, de ces catholiques, qui ont très douloureusement vécu le fait que certains religieux se croient autorisés à prendre publiquement, dans leurs vies de responsables religieux, des positions politiques. Je trouve que cela n’est pas leur rôle et qu’ils auraient dû s’en abstenir.

Colomba della paceAntoine Marette : Est-ce que vous vous dites qu’il y a une évolution, comment voyez-vous les choses ?

Nicolas Neiertz : Je vois l’évolution actuelle avec beaucoup d’optimisme et de confiance. Je constate que dans les paroisses où nous vivons et où nous pratiquons notre vie de croyant-e, les relations humaines sont plutôt en voie d’amélioration. Le débat sur le mariage pour tous a fait beaucoup évoluer les esprits. Beaucoup de chrétien-ne-s ont découvert des réalités de vie qu’ils-elles ignoraient, des couples de même sexe, des familles homoparentales, et ont découvert autour d’eux, des chrétien-ne-s comme eux, qui vivaient des choses différentes. Ils-elles ont cherché à comprendre ce qu’étaient ces parcours de vie. Nous témoignons dans nos paroisses, nous essayons de témoigner dans le débat public, pour expliquer qui nous sommes, comment nous vivons nos vies d’amour, nos vies conjugales, nos vies de couples, nos vies de familles. C’est quelque chose qui est presque toujours bien compris et apprécié dans nos paroisses, par les prêtres, les pasteurs et les responsables religieux.

Par ailleurs, j’observe que le synode sur la famille à Rome, a ouvert des portes qui ne sont pas prêtes de se refermer, et qui continueront à alimenter des débats sur qu’est-ce qu’une famille ? Qu’est-ce qu’un couple ? Comment accueillir des personnes qui vivent des choses différentes ? Cette dimension-là de la vie de l’Eglise, et de la vie des communautés de croyant-e-s, de l’accueil des personnes, est pour moi tout à fait centrale. C’est le devoir humaniste d’un mouvement spirituel moderne que d’accueillir les personnes là où elles en sont dans leurs vies et de les accompagner dans leurs chemins de vie.

Antoine Marette : Vous vous adressez ici à des auditeurs-trices de France Culture, mais également à trois représentants des principales religions en France. Ces trois religions ne reconnaissent pas l’union homosexuelle et la dénoncent. Qu’auriez-vous envie de dire à ces trois représentants ?

Nicolas Neiertz : Je voudrais leur dire que bien sûr je respecte les opinions de chacun, mais je voudrais entendre affirmer par chacun des trois, très clairement et sans ambiguïté, qu’ils condamnent l’homophobie et la transphobie ; qu’ils condamnent toutes agressions et toutes violences contre les personnes lesbiennes, gays ou transgenres. C’est quelque chose qui existe en France, qui existe dans d’autres pays, où des personnes homosexuelles ou transgenres sont agressées, sont victimes de violence ou de persécutions, et parfois par des personnes qui utilisent la religion comme un argument. Parfois, avec le soutien des Eglises locales et des autorités religieuses locales. J’aimerais beaucoup que vos invités s’expriment très clairement pour condamner ces violences et ces agressions.

[…] Tareq Oubrou (imam – recteur de la grande mosquée de Bordeaux) : Il y a d’abord un aspect théologique qui considère que l’être humain est habité par un souffle de Dieu, et à cet égard, il mérite toute dignité, abstraction faite de sa croyance et de son régime sexuel. C’est une dignité absolue qu’il faut respecter. Maintenant les options théologiques, éthiques, sexuelles, on peut être d’accord ou pas, mais recourir à la violence cela ne regarde que l’Etat, ce que Max Weber appelle la « violence légitime ». On ne se fait pas justice, on ne recourt pas à la violence. Je pense que nous sommes aujourd’hui dans des « sociétés monde » où il y a une intrication des croyances, des valeurs, etc. Comment inventer un vivre ensemble où chacun conserve ses convictions tout en cédant une place à l’autre. Il ne faudrait jamais réduire un être humain à son comportement. Il y a deux visions de l’être humain : une vision théologique/métaphysique et une vision éthique. On peut être en désaccord total au niveau de l’éthique, mais au niveau métaphysique, nous partageons tous la même humanité. […]