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Préservatif : le pape noie-t-il le poisson ? – Par Bernadette Sauvaget — 1 décembre 2015 à 16:17

 

Interrogé lundi sur l’usage du préservatif face au VIH, Bergoglio, en bon jésuite qu’il est, n’en a pas autorisé explicitement l’usage, tout en donnant, entre les lignes, sa bénédiction.

Préservatif : le pape noie-t-il le poisson ?

Un pas de côté pour une avancée au millimètre près. Interrogé, lundi soir, dans l’avion qui le ramenait à Rome après sa tournée africaine, le pape François a fait habilement bouger les lignes de son institution sur l’usage du préservatif pour endiguer l’épidémie de sida. «Même si le message n’est pas très audible pour le grand public, le pape progresse sur cette question», estime Elisabeth Saint-Guily, la porte-parole, de l’association homosexuelle chrétienne David et Jonathan. De fait, le chef de l’Eglise catholique ne condamne plus ouvertement l’usage du préservatif comme ses deux prédécesseurs, Jean Paul II et Benoît XVI.condoms

Interrogé lundi, à la veille de la journée mondiale contre le sida, sur la position de l’Eglise au sujet du préservatif, François n’a pas fermé la porte à son usage en tant que moyen de se protéger de la contamination, tout en se refusant à évoquer plus précisément le sujet. «La morale de l’Eglise se trouve face à une perplexité» vis-à-vis du préservatif et de l’épidémie de sida, a déclaré le pape à bord de l’avion à destination de Rome, estimant que le préservatif était «une des méthodes» possibles mais soulignant aussitôt que «les rapports sexuels doivent être ouverts à la vie».

Virage

En mars 2009, le pape allemand avait ainsi déclenché, lors d’un voyage au Cameroun, une polémique mondiale. En substance, il affirmait que l’utilisation du préservatif aggravait l’épidémie du sida. Un an et demi plus tard, Benoît XVI opérait un virage spectaculaire, du point de vue de son institution. Dans un livre d’entretiens, il légitimait – dans certains cas – le recours au préservatif. «Il peut y avoir des cas individuels, comme quand un homme prostitué utilise un préservatif, où cela peut être un premier pas vers une moralisation, un début de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que tout n’est pas permis et que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on veut, expliquait-il. Mais ce n’est pas la façon à proprement parler de venir à bout du mal de l’infection du VIH. Cela doit réellement se produire dans l’humanisation de la sexualité», tempérait cependant le pape théologien, qui avait mis un peu d’eau dans son vin.

S’inscrivant dans cette lignée, le jésuite argentin franchit un nouveau pas. Mais, mal à l’aise devant la question de Jürgen Baez, le journaliste allemand qui l’interrogeait lundi, il a botté en touche : «Cela ne me plaît pas de faire des réflexions sur des questions casuistiques quand des gens meurent du manque d’eau et de nourriture […]. Votre demande me semble trop étroite, une question partiale. Le problème est plus grand.»

«Pragmatique»

Pour la théologienne catholique Véronique Margron, spécialiste des questions d’éthique, le pape François «présente le problème de manière très pragmatique. Il faut se poser cette question : quelle est la véritable urgence ? Qu’est-ce qui favorise réellement la vie ? C’est ce que le pape a fait.» «Comme souvent, Bergoglio, pour solutionner le dilemme, s’ancre dans la réalité», analyse de son côté le vaticaniste Iacoppo Scaramuzzi. En se référant à l’évangile, le pape demande à ce que ne soit pas privilégiée la doctrine face à l’urgence des situations. Dont acte.

«Son message sera surtout compris à l’intérieur de l’Eglise catholique», estime la porte-parole de David et Jonathan. L’usage du préservatif y est, rappelle Véronique Margron, une «question sensible». «Avant le pape, d’autres responsables de l’Eglise, comme le cardinal Lustiger, avaient promu cette approche pragmatique», poursuit la théologienne. Pourtant arrimée sur ses convictions prolife, l’aile conservatrice ne veut surtout pas entendre parler d’une inflexion quant à l’usage du préservatif. «Le cardinal Burke, l’un des principaux porte-paroles de ce milieu, avait même mis en cause la véracité des propos de Benoît XVI dans son livre d’entretiens», rappelle Iacoppo Scaramuzzi. Au fil des mois, le pape François, audacieux au début de son pontificat, a appris à composer. Perdant ainsi en pugnacité…